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L'oiseau de feu

La vie de Louis Aragon

Louis Aragon naît en octobre 1897, mais on ne sait pas où : sa famille a brouillé les pistes. Il est en effet le fils caché de Louis Andrieux, ancien préfet de police, et de sa maîtresse Marguerite Toucas-Massillon, qui tient une honorable pension de famille. Depuis Arthur Rimbaud, il n’y a peut-être pas eu d’écolier aussi brillant que Louis Aragon. A douze ans, il a lu tous les classiques, et composé une soixantaine de petits romans. Il commence des études de médecine, mais la guerre survient. Louis devance son appel sur le front. Croix de guerre. Citation. A son retour, il renonce à passer l’internat et s’embarque avec son ami André Breton dans l’aventure du surréalisme. Les années 20 seront pour lui un tourbillon sentimental et littéraire.

Du trublion surréaliste au poète national

Concomitamment, il s’engage avec de plus en plus de ferveur dans le parti communiste. Elsa Triolet entre dans sa vie en 1928. C’est un grand amour qu’il chantera toute sa vie. Ensemble, ils tirent le diable par la queue et finissent par partir pour l’URSS d’où Aragon revient enthousiaste (Hourra l’Oural). La seconde guerre mondiale et la défaite de 1940 le poussent à fonder une poésie de résistance patriotique qui le mène sur de nouveaux chemins littéraires. A la libération, Aragon se trouve dans une position de force. Ses romans (Aurélien, La Semaine sainte) et ses poèmes (Le roman inachevé, Le Fou d’Elsa), la direction d’une revue (les « Lettres françaises ») lui donnent une stature de premier plan dans le champ littéraire pendant les années 1950 et 1960. Mais Elsa meurt en 1970. Comme un cerf-volant dont on aurait coupé le fil, Aragon mène alors une vie fantasque et débridée, fait des dettes considérables et finit sa vie dans une sorte de monologue proche de la folie. Il meurt en 1982 à l’âge de 85 ans.

Absolu

« Qui a le goût de l’absolu renonce par là au bonheur. »

Aurélien

Aragon et son temps

Louis Aragon fut surréaliste, barrésien, communiste, romantique et troubadour. Il a presque tout vécu du XXe siècle, de la première guerre mondiale à l’élection de François Mitterrand en 1981. Il incarne la gauche dans son siècle, la foi dans un idéal révolutionnaire plus forte que tout. Certains lui reprochent aujourd’hui son aveuglement vis-à-vis du totalitarisme soviétique. Essayons d’abord de regarder Aragon dans l’Histoire en train de se faire. Tentons d’oublier ce que nous savons, le nom des vainqueurs et des vaincus, les développements et les effondrements. Lorsqu’Aragon s’engage dans le parti communiste, en 1927, il s’agit d’un parti marginal -mais révolutionnaire. Et justement, Aragon est profondément dégoûté par le monde qu’il voit et qu’il décrit dans sa fresque romanesque consacrée au « monde réel » (Les Cloches de Bâle, Les Beaux-Quartiers, Les Communistes).

La France et le communisme

Dans sa jeunesse, Aragon souffrait d’un désespoir qu’il exprimait par l’ironie et la violence verbale. Puis il est tombé amoureux du parti communiste et de la France comme il est tombé amoureux d’Elsa. Ces trois-là se sont confondus dans l’idéal. Aragon restera communiste. Néanmoins, Le roman inachevé (1956) témoigne d’une désillusion qui sera celle de nombreux militants vis-à-vis de l’URSS.

Lessive

« Le temps fait la lessive des hommes, l’ordure ne survit pas, le grand vent de l’Histoire ici passe et purifie, c’est comme si les fenêtres et les portes des demeures étaient restées ouvertes à tous les courants d’air, pendant un siècle et plus… Il ne restera rien de tout cela que la musique, que la divine et profonde musique de l’amour.»

 

 La Semaine sainte

Sa place dans l'histoire de la littérature

Très jeune déjà, Aragon avait à peu près tout lu de la littérature française des siècles passés. Il s’est également beaucoup intéressé à la littérature russe (il a traduit Pouchkine) et au romantisme allemand. Cette immense culture vit dans les livres de Louis Aragon. On lui a même reproché de pasticher des auteurs presque malgré lui. Les siècles passés se fondent dans son écriture.

La découverte de Lautréamont a certainement revêtu pour lui, autant que pour les surréalistes, une importance considérable. Dans l’écriture poétique d’Aragon, on sent l’influence décisive d’Apollinaire, mais aussi de Racine et de Musset. Ses romans, quant à eux, doivent beaucoup à Balzac et à Stendhal, mais aussi à Roger Martin du Gard.

Même si son œuvre de romancier vaut vraiment le détour, Louis Aragon reste peut-être d’abord comme le plus grand poète français du XXe siècle. Un peu comme Vinicius de Moraes au Brésil, il est un troubadour que les chanteurs ont pris plaisir à s’approprier. Il est aussi un poète extraordinairement subtil et vertigineux.

Ces pauvres mots merveilleux

« Oui je lis, j’ai ce ridicule. j’aime les beaux poèmes, les vers bouleversants et tout l’au-delà de ces vers. Je suis comme pas un sensible à ces pauvres mots merveilleux laissés dans notre nuit par quelques hommes que je n’ai pas connus. »

 

La Grande gaîté

Un écrivain extraordinaire

Louis Aragon a tous les dons, et une facilité stupéfiante. Il écrit à un rythme que n’approche aucun écrivain de ce niveau : dix pages par jour. Cette abondance s’épanche dans la voie romanesque comme dans la poésie. Elle est le résultat d’un immense talent et d’un travail acharné.

Dans son œuvre de romancier comme dans son œuvre versifiée, du conte philosophique à l’autobiographie poétique, on trouve à chaque fois sa liberté, sa virtuosité, son élégance, son ironie tendre ou féroce, et surtout un sens poétique qui ne l’a jamais quitté. Séduisant et léger, même s’il peut prendre des itinéraires compliqués (La Semaine sainte, La Mise à mort), il y a pourtant en Louis Aragon une fêlure, une déchirure fondamentale. Il vole et il brûle. Il est un oiseau de feu.

Dites donc, vous...

« Dites donc, vous, l’homme au lorgnon, vous pourriez lever le menton : ce n’est pas de la merde, les étoiles. »

 

Le Paysan de Paris

Douze œuvres majeures

1922

Les Aventures de Télémaque

Aragon a 25 ans et il est déjà d’une virtuosité étourdissante. Au départ, Les Aventures de Télémaque est un livre de Fénelon, sommet de la prose du XVIIe siècle. Aragon reprend attentivement ce classique pour en faire un récit inclassable, inspiré de sa fantaisie et de Lautréamont.

« Toute ce qui n’est pas moi est incompréhensible.

Que je l’aille chercher aux rivages du pacifique ou que je le ramasse dans les contrées de mon existence, le coquillage que j’appliquerai à mon oreille retentira de la même voix que je prendrai pour celle de la mer et qui ne sera que le bruit de moi-même. »

1926

Le Paysan de Paris

Le Paysan de Paris est un livre sur presque rien, et c’est un chef d’œuvre de poésie. Un café, le parc des Buttes-Chaumont donnent la matière à ce « merveilleux quotidien » qui est le domaine privilégié d’Aragon à cette époque. Un livre qui joue la candeur, mais qui est tissé avec les fils d’une immense culture.

« Aurai-je longtemps le sentiment du merveilleux quotidien ? Je le vois qui se perd dans chaque homme qui avance dans sa propre vie comme dans un chemin de mieux en mieux pavé, qui avance dans l’habitude du monde avec une aisance croissante, qui se défait progressivement du goût et de la perception de l’insolite. »

1928

Traité du style

Emblématique d’une génération de jeunes gens sortant de la guerre, Traité du style exprime l’atmosphère mentale chaotique d’Aragon à la fin des années 1920. Ce livre authentiquement surréaliste est un jeu de massacre qui passe au broyeur écrivains, journalistes et la civilisation occidentale tout entière.

« Je piétine la syntaxe parce qu’elle doit être piétinée. C’est du raisin. Vous saisissez. »

1934

Hourra l'Oural

Dans ce recueil de poésie militante, Aragon revit. Après avoir exprimé son dégoût de la société de son temps, il chante sa nouvelle espérance : l’URSS et le communisme. Le séjour d’un an qu’il fit avec Elsa en Union soviétique lui donna des raisons de croire à un avenir meilleur.

« Je salue ici
l’Internationale contre la Marseillaise
Cède le pas ô Marseillaise
à l’Internationale car voici
l’automne de tes jours voici
l’Octobre où sombrent tes derniers accents »

1936

Les Beaux Quartiers

Suite à son séjour en Union soviétique, Aragon prend le tournant du réalisme socialiste et écrit trois romans composant le « cycle du monde réel » : Les Cloches de Bâle, Les Beaux Quartiers, Les Communistes. On est ici bien près de Zola, mais aussi de Stendhal et du roman d’apprentissage.

« Armand sentait avec dégoût l’imbécile esclavage de l’étude et, ce noviciat d’homme à la remorque familiale, à la fois il le maudissait et en craignait la fin prochaine. Son enfance partagée entre l’école et la rêvasserie se prolongerait, suivant les règles bourgeoises, au-delà des limites physiques de l’enfance. »

1942

Les Yeux d'Elsa

Ce recueil initie un long cycle consacré à Elsa, la femme de sa vie. Après avoir été surréaliste, réaliste, voici Aragon romantique et même plus profondément troubadour et poète de l’amour courtois.

« Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire »

1944

La Diane française

Contenant deux des plus célèbres poèmes d’Aragon, « La Rose et le réséda », et « Il n’y a pas d’amour heureux », ce recueil chante la France, ses villages et son Histoire, au moment de la défaite de 1940.

« Rien n’est jamais acquis à l’homme
Ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur
Et quand il croit ouvrir ses bras
Son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur
Il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux »

1944

Aurélien

Aurélien est un peu l’équivalent de L’Éducation sentimentale de Flaubert : le roman d’un amour inaccompli, qui est en même temps l’histoire sociale d’une génération vouée à l’échec. Du point de vue de la composition et du style, comme l’a vu Paul Claudel, ce roman si musical est peut-être d’abord un poème.

« Aurélien craignit de ne pas danser assez bien pour elle. Il le lui dit. Elle ferma les yeux. Alors, se penchant sur elle, il la vit pour la première fois. Il régnait sur son visage un sourire de sommeil, vague, irréel, suivant une image intérieure. Ce qu’il y avait de heurté, de disparate en elle, s’était fondu, harmonisé. Portée par la mélodie, abandonnée à son danseur, elle avait enfin son vrai visage, sa bouche enfantine, et l’air, comment dire ? d’une douleur heureuse. Aurélien se répéta qu’il n’avait encore jamais vu cette femme qui venait d’apparaître. Il comprit que ce qui la lui avait cachée, c’étaient ses yeux. Quand elle les avait fermés, elle n’avait plus été protégée par rien, elle s’était montrée elle-même. Ils se rouvrirent plus noirs que jamais, plus animaux qu’Aurélien ne s’en souvenait.»

1956

Le Roman Inachevé

On peut tenter de définir Le Roman inachevé comme une autobiographie poétique. Aragon y explore sa vie, la vie, son mystère, dans une atmosphère de crépuscule. Ce livre est un des plus grands chefs d’œuvre de la littérature française.

« C’est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit

Ces moments de bonheur ces midi d’incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes »

1958

La Semaine Sainte

La Semaine Sainte est un roman historique, mais pas dans le style d’Alexandre Dumas. On ne trouvera pas de narration enlevée, de péripéties allant vers un dénouement. Il s’agit ici bien plutôt d’une méditation d’un homme aux prises avec l’Histoire et dépassé par elle.

« Il n’y a pas de chemin pour moi dans ce siècle, – dit encore Géricault (…) Je vais peindre, voilà tout. Quoi, c’est bien là le mystère. Ce peuple, peut-être, qui n’a pas sa place à l’ombre de ces gens dont la gloire est de tuer, de le tuer. Je ferai sa place au peuple dans mes tableaux. Il y régnera tel qu’il est, sans espoir, avec sa force perdue, sa beauté gaspillée… »

1963

Le Fou d'Elsa

Toujours là où personne ne l’attend, provocateur professionnel, Aragon écrit les poèmes du Fou d’Elsa pendant la guerre d’Algérie, en prenant un itinéraire oriental avec la tradition islamique du Medjnoun. Même le catholique-conservateur Mauriac tira son chapeau.

« Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J’ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t’aime que j’en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble. »

1981

Les Adieux

C’est le dernier recueil de poèmes d’Aragon et c’est l’un des plus beaux. Comme il l’avait dit quelques années plus tôt,

Jamais je ne perdrai cet émerveillement
Du langage
Jamais je ne me réveillerai d’entre les mots.

« Je crois
A la douleur
Le temps s’enfuit fin comme sable
Je crois à la douleur Elle seule Un beau jour
La douleur Apprenez à souffrir La douleur
Viendra pour vous aussi Je crois à la douleur
A rien d’autre
Et le cri sortira de vous comme un oiseau »