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François Clouet, Dame au bain,  1571. Conservé à la National Gallery of Art, Washington DC.

« Mais si très doux m’était l’attouchement

Que je n’eus oncques de ce plaisant toucher

Mal ni ennui »

(« Les Prisons » )

L'amour vrai

On sait peu de choses de la vie amoureuse de la reine de Navarre. Mais à en juger par ses poèmes, elle fut intense et variée, heureuse et malheureuse. L’amour fut l’alpha et l’oméga de sa vie.

Car être grand et puissant terrien
Sans être aimé et aimer, ce n’est rien.

Mais encore faut-il savoir distinguer. Et c’est justement ce qu’essaie de faire Marguerite : un ensemble de ses poèmes porte le nom de « Définition du vrai amour »  (la première édition de 1896 écrit « Distinction du vrai amour »). Car malgré toutes ses jouissances auxquelles Marguerite est profondément attachée, l’amour porte avec lui la jalousie, la convoitise, l’instabilité. De plus, « Il est aveugle et porte un gros bandeau ». On tente alors maladroitement de s’en protéger par une fausse honte ou par la mortification du corps. Quelle erreur ! C’est l’amour qui doit nous guider comme une étoile, malgré les échecs. Les Adieux, Les Prisons, témoignent d’une recherche incessante d’un amour plus vrai, plus complet, plus accompli que l’amour humain, sujet à la mutation.

La Comédie de Mont-de-Marsan apporte un éclairage singulier à cette recherche, à la fin de la vie de Marguerite. Elle met en scène des personnages allégoriques, qui représentent chacun un rapport au monde. Or, le dernier mot n’est pas donné à « la sage », mais à une bergère, qui ne fait que chanter et qui assume son ignorance ( « Vous en parlez, et je le sens »). C’est par grâce que l’amour vrai surgit. Il n’est plus question de sagesse et de raisonnements.

La parole et le silence

Marguerite de Navarre écrivit de très longs poèmes, comme La Coche, La Navire, Les Prisons. L’amour est pour elle une inspiration inépuisable : un peu à la manière d’Aragon et du Fou d’Elsa. Néanmoins, les poèmes de la maturité disent que cette abondance est peut-être le signe de l’impuissance fondamentale du langage à épancher l’amour

En lieu de prier
Je ne fais que crier ;
Mon parler n’a couleur
Pour montrer ma douleur

La douleur profonde demande le silence, elle est incommensurable avec les mots :

… le penser n’approche nullement
Du mal qui fait en moi son dur effort

La parole émane en réalité du désir de séduire, c’est-à-dire d’un amour qui est une prison. Du point de vue de l’écriture, on aboutit alors à une impasse, comme en témoigne la fin des Adieux :

Je ne puis plus écrire une parole.

La poésie de Marguerite de Navarre ressemble à la théologie négative : on peut dire ce que Dieu n’est pas, mais il est impossible de dire son essence. De même, Marguerite décrit tous les signes de l’amour que nous rencontrons dans notre vie (dans Les Prisons par exemple) mais ce sont des amours incomplets. Ils font signe vers l’amour divin, amour parfait qui reste indescriptible.

François Clouet, Dame au bain,  1571. Conservé à la National Gallery of Art, Washington DC.

Remarquons la mise en parallèle du bras de l’enfant qui se tend vers les fruits, et le bras de la dame qui tient un œillet rouge (symbole d’amour).

Le rien et le tout

La conversion véritable, la joie chrétienne s’appuie sur une dialectique du rien et du tout, expliquée (un peu longuement) dans « Les Prisons ». On se croit quelque chose. Mais il faut se reconnaître comme Rien pour accéder au Tout (Dieu)

Car cet esprit, qui tout m’anéantit,

Me sait et peut en un Rien transformer ;
Et ce Rien là ne se peut enfermer,
Car Rien ne craint prison ni porte close

C’est seulement après cette auto-négation que la liberté suprême peut advenir et cesser d’être une illusion fondée sur les croyances (le « cuider »)

Et quand ce Rien à son Tout est uni,
Et le cuider en lui mort et puni,
C’est liberté plaisante, pure et pleine,
Contentement et joie souveraine.

Une fois dans le giron de cette joie, il faut laisser la place au silence ou à la musique car les mots sont inutiles

O puissant Tout, plein d’amour indicible !

O petit grand ! O Rien en tout fondu !

Le mal

Dans la mémoire collective, L’Heptaméron passe pour un recueil d’histoires amusantes et un peu libertines. En réalité, la plupart des récits sont tragiques. Sur bon nombre d’entre elles plane la menace du viol, et presque toutes mettent en scène la domination et la violence masculines. Les femmes ne sont pas des agneaux. C’est le règne du mal : tout n’est que déception, tromperie, violence, perversion. Dans les discussions qui suivent chaque récit, les discours des interlocuteurs oscillent entre cynisme, misogynie (de la part de Hircan ou de Saffredent) et idéalisme des relations humaines (Oisille). Autrement dit, au niveau des récits comme des commentaires de la joyeuse bande, tout est un peu inadéquat. Aucune vision cohérente n’émerge de cette cacophonie.

Le discours de Marguerite de Navarre sur le mal est intéressant. Elle ne considère pas que le mal est le produit d’une mauvaise intention. Le mal a sa racine dans notre condition et notre nature. Mais rien ne sert de se contraindre exagérément ou bien de se mortifier : seule la rencontre avec le Christ peut nous délivrer du mal, par la grâce, l’amour et un désir authentique.

François Clouet, Le Bain de Diane, vers 1550. Musée des Beaux-Arts de Rouen.

Le regard du faune au premier plan, la curée à l’arrière-plan le disent assez : l’amour est lié à la violence pour le peintre François Clouet. On retrouve cette vision chez sa contemporaine Marguerite de Navarre.