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La pâte humaine

La vie de Zola

Émile Zola naît en avril 1840 à Paris. Son père est un brillant ingénieur italien, qui emmène sa famille en Provence où il doit diriger la construction d’un canal. Malheureusement, il meurt avant la fin des travaux, et la famille Zola se retrouve sans ressources. Tandis que sa mère bataille sans succès pour éviter la banqueroute, Émile suit toute sa scolarité à Aix-en-Provence, en compagnie de son inséparable camarade Paul Cézanne.

Des débuts laborieux

Émile part pour Paris à l’âge de 18 ans, où il vit d’abord dans la pauvreté. Le jeune homme est déterminé à réussir, mais il échoue deux fois au baccalauréat scientifique. Après une période de désarroi assez longue, il entre dans le groupe d’édition Hachette, au service publicitaire. Il apprend à connaître le monde de la presse, et rapidement il signe articles, chroniques et contes dans des proportions industrielles. Il écrit des kilomètres de vers, mais il sent bien que seul le roman pourra lui apporter l’argent et la célébrité qu’il désire ardemment. Avant sa trentième année, il conçoit le plan d’un grand projet romanesque : raconter l’histoire d’une famille sous le second empire, les Rougon-Macquart.

Écriture et engagement

En s’imposant une discipline de fer, Zola va écrire les vingt romans de cette fresque ambitieuse entre 1870 et 1893. Si les premiers romans sont reçus dans une relative indifférence, L’Assommoir (1877) le propulse dans la célébrité et l’aisance financière. Zola devient un écrivain de premier plan.

Marié depuis 1870, Zola n’avait pas d’enfants. Mais le démon de midi le prend après la quarantaine. A partir de 1888, il mène une double vie avec sa lingère, Jeanne Rozerot, dont il a un fils et une fille. La fin de la vie de Zola est affectée par cette situation compliquée et par la bataille de l’Affaire Dreyfus, où il interviendra de manière retentissante et courageuse. Cet engagement lui vaudra une mort prématurée. Probablement suite à un acte malveillant (on bouche sa cheminée), il meurt d’intoxication au monoxyde de carbone, à l’âge de 62 ans, en 1902. Six ans plus tard, son corps est transféré au Panthéon.

Passion

« Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. »

J’accuse !

Zola et son époque

Au contraire de Flaubert qui n’intervenait pas dans la vie médiatique, Zola a constamment pris parti, commenté, soutenu, critiqué ce qui se passait en politique, dans les arts, dans la littérature. Il a beaucoup fait pour les impressionnistes à leurs débuts (avant de s’en détacher), et notamment pour Manet. Il s’est intéressé de près à la photographie. Cet engagement sur la scène publique s’explique par la volonté d’exister dans le paysage intellectuel, mais aussi de défendre des convictions profondes concernant l’individualité de l’artiste, la vie et le réalisme de l’œuvre. La vérité n’était pas un vain mot pour lui.

La conscience de son temps

C’est aussi cette amour de la vérité qui le conduira à s’engager en faveur du Capitaine Dreyfus, injustement accusé d’espionnage. Il le fera de manière retentissante, avec un article resté dans les mémoires : « J’accuse ». Son savoir-faire publicitaire, son sens de la dramaturgie, son courage joueront un grand rôle dans la réhabilitation de Dreyfus. Zola en paiera le prix fort. Il sera condamné à la prison ferme et partira un an en exil. Il inaugure ce rôle de l’intellectuel engagé qui tiendra tant de place en France au XXe siècle, avec André Gide, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, et d’autres.

Railleurs

« Je hais les railleurs malsains, les petits jeunes gens qui ricanent, ne pouvant imiter la pesante gravité de leurs papas. »

Mes Haines

Sa place dans l'histoire de la littérature

Zola est considéré comme le plus éminent représentant de l’école naturaliste. Hanté par le corps, le déterminisme social, l’absence de liberté, ce mouvement se voulait en rupture avec une approche romantique et sentimentale de la réalité (Les Misérables de Victor Hugo par exemple). Zola voulait aller plus loin que le réalisme de Madame Bovary, qui n’était qu’un moyen au service de l’œuvre d’art : lui, prétendait rendre compte scientifiquement de la réalité, d’après une méthode qu’il décrivit dans Le Roman expérimental. Bien entendu, les principes exposés dans ce livre n’ont rien de rigoureux et n’étaient qu’un concession faite au scientisme du temps. Accessoirement, ils permettaient aussi à Zola de faire école.

Le peuple

Balzac, lui aussi, donnait une valeur scientifique à ses romans et pensait qu’il y avait des « espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques ». De nos jours, nous n’accordons plus guère de crédit scientifique à un roman. C’est la puissance visionnaire de ces auteurs qui nous transporte, aujourd’hui encore. Il reste que le travail de documentation et le réalisme sans compromis de Zola a produit des résultats. Dans l’Histoire, il demeure comme l’écrivain d’une fresque sociale qui a fait entrer le peuple, son langage, mais aussi ses luttes, ses espoirs, ses illusions, sa violence, dans la littérature.

Ecriture

« Je ne mets ma phrase sur le papier que lorsqu’elle est parfaitement disposée dans ma tête »


Lettre à Piotr Boborykhine, février 1876

 

Pourquoi Zola est un écrivain extraordinaire

On a trop tendance aujourd’hui à réduire Zola à l’affaire Dreyfus. Il est d’abord un écrivain extraordinaire, qui a créé une œuvre romanesque d’une ampleur gigantesque, avec des personnages faits d’une épaisse pâte humaine. Comme Balzac, il maîtrise l’ensemble et le détail. Il a un sens de l’épique, de la dramaturgie assez rare dans la littérature française. Mais n’oublions pas qu’il a commencé par lire les poètes et écrire des poèmes. Ses phrases sonnent, ses mots sont précis et il sait trouver des images frappantes.

Sa qualité première est la force. Ses romans ont une vie large et puissante. Son écriture charrie des odeurs et des couleurs violentes. Zola n’est pas fait pour ceux qui ont le nez trop délicat et la peau trop fine. Il nous oblige à regarder là où l’on ne veut pas, il nous rend témoin de la folie des hommes et du dérèglement du monde.

"Quelles boules !"

« Mon cher Zola,

 

J’ai passé hier toute la journée jusqu’à 11 h. 1/2 du soir à lire Nana. – Je n’en ai pas dormi cette nuit, et j’« en demeure stupide ».

Nom de Dieu ! quelles couilles vous avez ! quelles boules !

S’il fallait noter tout ce qui s’y trouve de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. Les mots nature foisonnent ; et la fin, la mort de Nana, est michelangelesque !

Un livre énorme, mon bon ! »

 

Gustave Flaubert, lettre du 15 février 1880

Œuvres majeures

15 extraits à lire, à écouter et à télécharger

1871

La Fortune des Rougon

Adelaïde est un peu dérangée, folle de sexe, et passe son temps avec Macquart, un contrebandier alcoolique et violent. Elle ne s’occupe guère de ses enfants issus de deux lits. Ils lui feront payer cette négligence… Premier roman du cycle des Rougon-Macquart La Fortune des Rougon raconte les origines de la famille, ses névroses et ses divisions.

1877

L'Assommoir

Gervaise est travailleuse et se contenterait d’une petite vie tranquille. Mais la brutalité de la société, l’alcoolisme de ses conjoints, la rapacité de quelques autres vont broyer sa chétive existence. Âmes sensibles s’abstenir.

1878

Une page d'amour

Voici un roman qui détonne dans la production d’Émile Zola : il laisse la part belle au bonheur. Hélène, jeune femme vertueuse, aime Henri, un médecin plein de bonté. Hélas, le médecin est marié et Hélène a une fille, terriblement jalouse…

1880

Nana

Parlons net : Nana fait bander toute la capitale. Les hommes en deviennent fous. L’héroïne, quant à elle, finit par se dégoûter de ce désir général sans répit. Elle poussera les hommes au bout de leur passion, jusqu’à la ruine et l’avilissement.

1882

Pot-bouille

Octave Mouret part à la conquête de Paris. Ce faisant, il découvre la vie d’un immeuble dont la façade et l’apparence convenable cachent un délire d’intrigues, d’affaires louches, de liaisons sauvages. C’est un vrai pot-bouille (une tambouille).

1883

Au Bonheur des dames

Denise débarque à Paris et travaille comme vendeuse dans un magasin en forte croissance, comme on dit en 2023. Que deviendra-t-elle dans ce capitalisme brutal et déchaîné ? Au Bonheur des dames raconte les grandeurs et les misères de la société de consommation naissante.

1885

Germinal

Germinal est l’histoire d’une défaite, celle d’une terrible grève dans une mine, mais qui contient les germes de victoires futures. C’est aussi le récit haletant d’une catastrophe minière. C’est au fond l’histoire du socialisme en marche, avec sa bêtise, sa vérité et sa grandeur.

1887

La Terre

Comme les employés du Bonheur des Dames sont broyés par le magasin, les paysans sont dominés par la terre. Ne vous attendez pas à trouver un charme bucolique dans ce roman cauchemardesque, où Zola est peut-être victime de son propre système : ce ne sont que viols, brutalités et meurtres du début à la fin.

1890

La Bête humaine

Jacques Lantier est mécanicien de locomotive, et il a un problème : il ne peut pas tenir une femme dans ses bras sans avoir envie de la tuer. Jusqu’au jour où il en rencontre une que charme son côté inquiétant… Ce roman noir aux métaphores puissantes ne met pas la vie en rose.

1891

L'Argent

En cette fin de XIXe siècle, l’économie a changé : la spéculation transforme le monde, ses paysages, des pans entiers de Paris. Mais parce qu’elle repose sur la confiance, et qu’il est facile de la tromper, tout peut s’effondrer en un jour. Aristide Saccard nous dit tout cela à travers sa vie vouée au gain et à des paris colossaux.