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Le Moyen Âge

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1 octobre 2020

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Moyen-Âge

Le Moyen Âge dure presque mille ans. Il s’étend de la fin de l’empire romain (Vᵉ siècle environ) jusqu’à la chute de Constantinople ou bien la découverte de l’Amérique par l’occident, en 1492.

Pendant cette période, la France est essentiellement rurale. La vie est réglée par les travaux découlant des saisons.

Alors que notre imagination y voit souvent une époque triste de l’humanité, il y eut en réalité un rayonnement propre au Moyen Âge. En particulier du XIᵉ au XIIIᵉ siècle, où sont nées les églises romanes et gothiques.

Mais un trio infernal venait s’abattre régulièrement sur la vie des peuples : guerre, famine, épidémie. La population d’une ville pouvait diminuer de moitié en dix ans -puis se régénérer rapidement. Plus qu’à aucune autre époque, les hommes et les femmes du Moyen Âge se tenaient  sur une ligne de crête, le point de bascule vers la mort n’étant jamais très éloigné.

Même si le Moyen Âge nous paraît bien lointain, il a durablement marqué notre culture. C’est notamment l’époque où une certaine idée de l’amour va naître en occident et irriguer les esprits jusqu’à nos jours : l’amour-passion. C’est-à-dire une amour pleine d’obstacles, une étreinte qui se fait très longtemps désirer. Et qu’il faut mériter par des preuves de bravoure !

La langue française au Moyen Âge

Même s’il a subi beaucoup d’influences au cours de son histoire, le français descend directement du latin parlé en Gaule après la conquête romaine.

Siècle après siècle, ce latin tardif évolue en une langue qui finit par ne plus ressembler au latin classique que de très loin. En 813 déjà, à Tours, les évêques réunis en synode recommandent de faire les sermons dans la langue des ouailles, non plus dans un latin que les gens ne comprennent plus. Deux familles de langue se partagent peu à peu le territoire : la langue d’oïl au nord, la langue d’oc au sud.

Par ailleurs, l’imprimerie n’existe pas encore. Les livres sont rares, le papier coûte très cher. La langue de l’époque est essentiellement orale.

La littérature est donc au Moyen Âge en grande partie destinée à être récitée, ou chantée, ou jouée, notamment par les jongleurs, professionnels du spectacle vivant qui interprètent chants, contes et fabliaux composés par les troubadours et les trouvères.

La littérature médiévale et nous : histoire d'un refoulement

A la différence des pays anglo-saxons, de l’Allemagne, de l’Espagne ou de l’Italie, la France a presque toujours regardé le Moyen Âge comme une période transitoire, obscure, pénible. La littérature médiévale fait-elle encore partie de notre patrimoine ? Qui sait aujourd’hui que la quête du Graal est une invention de Chrétien de Troyes et de Robert de Boron ? Que le premier récit de la légende de Tristan et Iseult a été rédigé en français ?

Les psychanalystes le savent : se questionner sur son origine suscite souvent des fantasmes ou de la honte. Or, l’ancien français provient d’un latin parlé, dégradé, provincial, simplifié, patoisant… Il fallait cacher cet enfant bâtard fait au latin classique, cet être impur, horriblement vulgaire, ce Jacquouille !

Un destin hors frontières

Même si le Moyen Âge fut un moment à la mode chez les écrivains romantiques français de 1830 (Alexandre Dumas, Victor Hugo, Gérard de Nerval), la littérature médiévale de langue française a surtout imprégné d’autres langues et d’autres cultures. Le roman de Chrétien de Troyes Perceval ou le conte du Graal a été adapté en allemand par Wolfram von Eschenbach dès le début du XIIIe siècle et alimentera le Parsifal de Richard Wagner ou bien encore le Sacré Graal ! des Monty Python. En Angleterre, Chaucer traduisit le Roman de la Rose qui fut le best seller de l’Europe médiévale avec la Divine Comédie de Dante. La légende de Tristan et Iseult (dont l’origine est mal connue mais les premiers textes sont en français) sera l’archétype de l’amour passion dans toute l’Europe du XIXe siècle (Wagner, Tristan und Isolde).

Enfouissement séculaire

La mise à distance du Moyen Âge a commencé très tôt. Dans les années 1540, le père de Montaigne biberonne son fils directement aux classiques latins sans passer par les romans médiévaux : « des Lancelots du lac, des Amadis, des Huons de Bordeaux et tout le fatras des livres de ce genre à quoi l’enfance s’amuse, je n’en connaissais pas seulement le nom » (Montaigne, Essais, I, XXVII). Un programme d’enfouissement qui allait perdurer dans les siècles à venir.

Les érudits humanistes du XVIe siècle travailleront à corriger les affreuses déformations que ce latin parlé avait subi au cours des siècles (voir cet encadré). Un siècle plus tard, Racine ne choisira pas ses sujets de tragédie dans les légendes arthuriennes ou dans les chansons de geste, mais dans l’histoire et la littérature greco-latine : Huon de Bordeaux ou Le Conte du Graal, c’est pittoresque, mais ce n’est pas sérieux. Bien entendu, le siècle des Lumières allait lui aussi largement ignorer une période si peu rationnelle et si indifférente à la notion de progrès.

Romantisme et romanistik

Au début du XIXe siècle, les nations européennes cherchent à affirmer leur identité pendant et après le grand bouleversement napoléonien. Les romantiques allemands (Herder, Schiller, etc.) se persuadent que l’âme du peuple se manifeste dans des traditions archaïques, qui feraient signe vers un monde médiéval plus authentique. Chez les Français, cette tendance médiévale se traduit plutôt par une mode qui aboutit parfois à un bric-à-brac un peu toc, notamment au théâtre (Dumas, La Tour de Nesle).

Parallèlement, les philologues allemands du XIXe siècle font avancer à pas de géants la connaissance des langues romanes du Moyen Âge (Romanistik) tout en corrigeant les illusions romantiques d’un monde originaire quelque peu fantasmé. La France suit cette dynamique en créant une chaire de langue et littérature françaises du Moyen Âge au collège de France en 1853. Gaston Paris et Joseph Bédier notamment amènent un nouvel élan dans l’étude des littératures médiévales de langue française, poursuivi par les grands médiévistes du XXe siècle.

Le Moyen-âge de siècle en siècle

Littérature :

Rois remarquables et évènements historiques :

Architecture :

Naissance et floraison des églises et monastères de style roman. Plus de 2600 églises romanes (XIe et XIIe siècles) sont encore visibles aujourd’hui en France. De nombreuses abbayes sont fondées, comme le Bec-Helluin, en Normandie (d’où provient probablement l’auteur de la Chanson de Guillaume). On pose les premières pierres de l’abbaye de Cluny III, qui sera pendant 500 ans le plus grand édifice religieux de la chrétienté.

Littérature :

    • Guillaume d’Aquitaine (1071-1126), premier troubadour connu en langue d’oc et grand-père d’Aliénor d’Aquitaine. Le XIIe siècle est l’âge d’or de l’amour courtois imaginé par les troubadours (langue d’oc) puis les trouvères (langue d’oïl).
    • Écriture de la légende de Tristan et Yseult par Béroul (entre 1160 et 1190), Thomas d’Angleterre (entre 1170 et 1180). Eilhart von Oberge écrit à partir de la version de Béroul, entre 1170 et 1190, une version en moyen haut allemand.
    • Écriture de nombreuses chansons de geste.
    • Chrétien de Troyes déploie la légende arthurienne dans sa dimension littéraire. Il écrit entre 1170 et 1190 :
        • Lancelot ou le Chevalier de la charrette
        • Yvain ou le Chevalier au lion
        • Perceval ou le conte du Graal
    • Premières branches du Roman de Renart, vers 1174.
    • Traduction des œuvres d’Aristote à partir des manuscrits arabes en Espagne (Tolède) et en Italie.

Rois notables et évènements historiques :

Architecture :

 Littérature :

    • Le Roman de la Rose, rédigé par Guillaume de Lorris (vers 1230) et par Jean de Meung (vers 1265).
    • Geoffroy de Villehardouin écrit (entre 1207 et 1213) La Conquête de Constantinople, récit de la quatrième croisade qui ne parviendra pas à son but initial.
    • Le Vénitien Marco Polo raconte son incroyable périple en Chine dans un livre rédigé en français (Le Livre des Merveilles, 1298).
    • Développement de nouvelles branches du Roman de Renart.
    • En latin, la Somme théologique de Thomas d’Aquin (1274) fait date. Sommet de la scolastique, l’ouvrage cherche à synthétiser l’apport de la philosophie d’Aristote (connus un siècle plus tôt notamment grâce aux traductions arabes) et la théologie chrétienne.

Rois notables et évènements historiques :

Architecture :

    • Age du gothique rayonnant : les églises deviennent de plus en plus hautes et lumineuses. La Sainte-Chapelle est achevée en 1248. Cette tendance se poursuivra au XIVe siècle.

 Littérature :

    • Développement d’un théâtre populaire religieux et d’un théâtre comique, où les spectateurs participent au jeu autour d’un cercle (voir Henri Rey-Flaud, Le Cercle magique).
    • Jean Froissart écrit ses Chroniques, récit d’un siècle secoué par la guerre.
    • Guillaume de Machaut, compositeur et poète le plus important du siècle.
    • Eustache Deschamps, poète et auteur du premier traité de poétique en français (Art de dictier, 1392) : la poésie est pour lui « musique de bouche proférant des paroles versifiées ».

Rois notables et évènements historiques :

Architecture :

La situation économique, sanitaire, agricole, politique, est très mauvaise au XIVe siècle et les chantiers sont moins nombreux qu’aux périodes précédentes. Mais l’architecture gothique poursuit sa quête de dépouillement et d’élévation (disparition des chapiteaux, par exemple, pour épurer la ligne des colonnes).

 Littérature :

    • Christine de Pizan, première femme de lettres professionnelle en France, écrit une œuvre très variée, accordant une place importante à la défense des femmes.
    • François Villon, poète et assassin, se démarque par une expression très personnelle –à la fois paillarde et angoissée par la mort.
    • La Divine Comédie de Dante est éditée en français pour la première fois en 1472.
    • Gutenberg révolutionne la reproduction des textes avec l’invention des caractères mobiles d’imprimerie dans les années 1450.

Rois notables et évènements historiques :

    • Jeanne d’Arc fait sacrer Charles VII (en 1429) et crée un moment de bascule dans la guerre de cent ans. Les Anglais quittent la France définitivement après 1453.
    • Louis XI (1423-1461/1483) solidifie et centralise l’organisation politique du royaume de France.
    • Charles VIII (1470-1483/1498) met en œuvre une expédition militaire en Italie (en 1494) : c’est le début de nombreux conflits mais aussi le commencement de nombreux échanges culturels qui s’accentueront au siècle suivant.

Architecture :

Le style gothique est encore dominant dans les constructions, comme celle de l’église Notre-Dame de Kernascléden ou de la cathédrale d’Évreux (gothique flamboyant). Le renouveau viendra de l’influence italienne au XVIe siècle qui fera tomber l’architecture gothique en désuétude.

Qui écrit quoi ?

Auteurs énigmatiques

S’il existe au Moyen Âge des auteurs bien identifiés (par exemple Bernard de Ventadour au XIIe siècle ou Christine de Pizan au XVe), nous ne disposons souvent que d’un nom sans autre information. D’autre part, notre conception moderne de l’écrivain n’est pas celle du Moyen Âge. C’est ce que manifeste le dernier vers de la chanson de Roland (ci contre) :

« Ci falt la geste que Turoldus declinet »

Autrement dit : Ici finit la geste que Turold… declinet. Nous n’en savons pas davantage sur Turold. Nous ne savons pas bien non plus comment comprendre declinet : transcrit ? fait connaître ? compose ? récite ? Cette ambiguïté est celle de nombreux textes de l’époque, notamment des chansons de gestes, des branches du Roman de Renart, de la légende de Tristan et Iseult. L’individu qui écrit est-il le créateur du récit ou bien son consignateur ? Cette question est parfois difficile à trancher. Du grain à moudre pour les chercheurs !

Littérature arboriforme

Au Moyen Âge, les œuvres littéraires ne surgissent pas ex nihilo. Elles poussent à partir d’un tronc. Ainsi, les chansons de geste se regroupent en plusieurs cycles qui s’articulent chacun autour d’une figure historique ou légendaire, par exemple Charlemagne, explorant d’abord son parcours biographique, puis l’histoire de ses ascendants, de ses cousins, etc. De même, les récits du cycle du Graal se veulent la continuation et le complément des romans de Chrétien de Troyes.

Le Roman de Renart, quant à lui, forme une seule œuvre constituée de branches. L’ensemble de cette ramure est l’œuvre de 29 auteurs sur une période d’écriture de 80 ans environ. Il peut donc arriver que les branches se gênent les unes les autres et que les récits se contredisent…

Vers et prose

Dans la littérature française comme dans la littérature grecque et la littérature latine, les vers ont précédé la prose. Les œuvres médiévales étaient faites pour être lues à voix haute, déclamées ou chantées. On peut penser que les auteurs ont longtemps privilégié la forme versifiée pour des raisons notamment mnémotechniques. Sont donc en vers les chansons de geste, les romans de Chrétien de Troyes, le Roman de Renart, le Roman de la Rose, les mystères comme celui d’Arnoul Gréban.

Les œuvres en prose émergent surtout à partir du XIIIe siècle. La prose se distingue dans la mesure où elle se prétend véridique (ainsi les chroniques historiques de Froissart ou Villehardouin, certains livres de Christine de Pizan…). Alors que les vers constituent un chant, un poème, un roman d’imagination, la prose se veut la forme de la vérité ou du témoignage.

Les chansons de geste : chevaliers en mission

Qu’est-ce que la « geste » ? Ce sont des hauts faits de chevalerie, des exploits guerriers dignes d’être racontés. Les chansons de geste sont donc des poèmes épiques. Les premières chansons de ce genre datent de la fin du XIe siècle et la plupart ont été écrites du XIIe au XIIIe siècle, pendant les croisades et le déploiement des États latins d’Orient. Leurs auteurs ne sont en général pas mentionnés.

Pour plus de commodité, on divise les chansons de geste en trois cycles (ou trois gestes). Le cycle du roi se rapporte à la figure de Charlemagne, le cycle de Garin de Monglane s’articule autour de Guillaume d’Orange, personnage imaginaire inspiré d’un cousin de Charlemagne. Ces deux séries de chansons évoquent essentiellement les guerres contre les sarrasins. Le cycle de Doon de Mayence, en revanche, porte davantage sur les rebellions de vassal à suzerain.

Entre les faits évoqués qui eurent lieu autour de l’an 800 et l’écriture des chansons, 400 ans se sont écoulés sans trace écrite. Que signifie ce silence multiséculaire ? D’où les chansons proviennent-elles ? Mystère. Même si plusieurs hypothèses ont été faites, on ne sait pas vraiment si elles procèdent d’une tradition populaire ou bien si elles sont le fait d’auteurs individuels.

« Le comte Roland, avec peine et souffrance,
A grande douleur sonne son olifant.
Le sang jaillit, clair, par la bouche :
De son cerveau la tempe se rompt.
Du cor qu’il tient le son porte très loin
Charles l’entend au passage des cols,
Naimes l’entendit, et les Français l’écoutent.
Le roi déclare : « J’entends le cor de Roland !
Il ne l’aurait jamais sonné s’il n’avait pas eu à se battre. »

La chanson de Roland

Transformer l'histoire en légende

Les chansons contiennent en général un fond de réalité historique transformé en légende. Prenons l’exemple de la chanson de Roland : les troupes de Charlemagne ont bien combattu à Roncevaux en 778. Mais il est peu probable que Charlemagne fût âgé de deux cents ans comme la chanson l’indique et qu’il y eût 300 000 guerriers sarrasins sur le champ de bataille (à supposer qu’il s’agissait de sarrasins) !

Autre exemple : les très réels combats de Guillaume de Gellone contre la pression exercée par les musulmans en Septimanie dans les années 790 sont magnifiés à travers la bataille légendaire d’Aliscans (dans la chanson de geste du même nom) perdue puis remportée par Guillaume d’Orange, dit Guillaume court-nez, dit Guillaume au cornet, dit Fierbras.

Monjoie !! L'exaltation héroïque

La figure du chevalier est centrale dans la chanson de geste. Mais il ne s’agit pas du chevalier errant des légendes arthuriennes. Le chevalier est ici en mission. Il doit combattre avec ses collègues les deux bêtes noires de la chrétienté féodale : les infidèles et les traitres (félons). 

Le devoir du chevalier est simple et rude. On ne lui demande pas de chercher des solutions et des compromis. Il doit avant tout être costaud et courageux, frapper de taille et d’estoc, faire craquer les os, en bref destroncher l’adversaire. Il doit aussi impérativement faire preuve d’honneur et de désintéressement, deux valeurs qui allaient rester très importantes dans la noblesse des siècles à venir. La mort violente fait partie de la vie du chevalier : il lui faut mourir « en grant bataille a freit acer » (en grande bataille par l’acier froid).

La quinte estampie réale (XIIIe siècle)

Extrait d’une pièce musicale provenant du Ms 844, dit « Chansonnier du roi », compositeur anonyme. Interprété par l’ensemble Aëlis, 2015.

Les sarrasins

Depuis l’invasion omeyyade du VIIIe siècle (bataille de Poitiers en 732) et leurs incursions en Provence qui allaient se poursuivre jusqu’au XIIe siècle, les musulmans sont vus comme l’ennemi numéro un. La succession des croisades (fin XIe jusqu’au XIIIe siècle) allait donner une intensité supplémentaire à cet affrontement.

L’atmosphère des chansons de geste n’est pas à l’interculturalité ni aux regards croisés des Lettres persanes : complètement indifférents aux mœurs, aux coutumes et aux croyances réelles des maures, les textes leur attribue un polythéisme farfelu (Mahomet, Tervagan, Cahu, Sorape…) qui témoigne certainement aussi de l’angoisse du jeune monde chrétien devant la survivance des cultes païens à l’intérieur même des frontières, dans les populations locales.

Fin'amor : l'exaltation des troubadours

Tandis que les chansons de geste se multiplient en langue d’oïl, une nouvelle poésie voit le jour en langue d’oc, dans le midi de la France, au début du XIIe siècle. Contrastant avec la brutalité des épopées guerrières, elle célèbre un amour respectueux, passionné et entièrement dévoué à sa propre cause : la fin’amor (c’est-à-dire l’amour accompli).

Les auteurs de ce ces chants sont les troubadours (à ne pas confondre avec les jongleurs, qui les chantent et les interprètent auprès du public). Hommes ou femmes (on a dénombré 23 trobairitz), en général de noble souche, ces poètes créent un genre nouveau qui va essaimer vers le nord de la France, où ils seront appelés trouvères, mais aussi en Espagne, au Portugal, en Italie, en Allemagne (Minnesänger).

La fin’amor (appelé aussi depuis Gaston Paris « amour courtois ») n’a rien à voir avec le mariage ou la fondation d’une famille : il est d’ailleurs presque toujours adultère et socialement problématique. Sacrifiant tout à l’énergie du désir, les protagonistes de l’amour courtois s’arrangent pour différer sans cesse leur union. La fin’amor est en grande part intérieure, épistolaire, marquée par les obstacles et les longues séparations. Elle fait battre le cœur des amants mais leur arrache aussi soupirs et grincements de dents. La vie et même les mots ne sont pas à la hauteur du désir, comme l’écrit la trobairitz Clara d’Anduze :

Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir de ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, je me plains et je soupire parce que je ne puis faire avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir.

« Tant que je vivrai » (XIIIe siècle)

Rondeau du trouvère Adam de la Halle (vers 1240-1300), interprété par l’ensemble musical Tenet. 

« Dieu ! quand ils crieront : en avant !…

Ce qui me soutient dans mon attente,
C’est que j’ai reçu sa foi.
Et quand la douce haleine vente
Qui vient de ce doux pays
Où est celui que je désire,
Volontiers j’y tourne mon visage.
Alors il me semble que je le sens
Par-dessous mon manteau gris.

Dieu ! quand ils crieront : en avant !…

De cela j’ai surtout regret
Que je n’ai pu assister à son départ.
La chemise qu’il avait vêtue,
Il me l’envoya pour l’embrasser.
La nuit, quand son amour me presse,
Je la mets coucher à côté de moi
Toute la nuit contre ma chair nue,
Pour adoucir mes maux. »

Guiot de Dijon

Un amour exigeant

L’amour courtois, comment ça marche ? D’abord, l’amant demande respectueusement à la dame de bien vouloir accepter son amour. Soumis à la volonté de celle qu’il aime, il doit subir de longues épreuves avant l’union tant espérée.

En général, l’amoureux part guerroyer (en terre sainte le plus souvent, car nous sommes à l’époque des croisades) pour lui prouver sa valeur, la mériter et la séduire. Prise dans un dilemme un peu tragique, la dame désire et redoute de telles épreuves qui mettent en danger le prétendant (voir l’extrait d’un chant de Guiot de Dijon, ci-contre).

La gestion du temps est un autre élément important. Autant que faire se peut, la dame met son amant en attente et donne des réponses dilatoires à ses supplications, car elle sait bien que l’amour meurt souvent en se réalisant. Que devient le désir quand il n’y a plus rien à désirer ? Les commencements ne sont-ils pas les moment les plus délicieux ? Par ailleurs, ne pas tout accorder lui permet aussi de juger de la qualité des sentiments de son amant. Sont-ils durables et sincères ?

Dans cette perspective, la fin’amor a inventé une autre épreuve : l’assag. Il s’agit ni plus ni moins de permettre à l’amant de vous rejoindre dans votre lit et de le laisser vous étreindre, vous embrasser, vous caresser, mais… pas plus ! S’il résiste à une pulsion bassement génitale, l’amant aura démontré la noblesse d’un sentiment dégagé des lois naturelles.

L'inspiration bretonne

La forêt des récits arthuriens

Arthur, la table ronde et le Graal. Quelle est l’origine de cette légende qui peuple encore notre imaginaire à travers Indiana Jones ou la série Kaamelott d’Alexandre Astier ? Au milieu du XIIe siècle, Geoffroy de Monmouth écrit en latin une histoire des rois de l’île de Bretagne où un certain roi Arthur occupe une bonne place, accompagné de Merlin. Wace adapte ce livre en anglo-normand (Le Roman de Brut) et donne à Arthur un rôle plus grand encore. Mais il ne s’agit encore que d’historiographie.

C’est Chrétien de Troyes (autour des années 1180, c’est-à-dire au début de la construction de Notre-Dame de Paris) qui donne le premier à cette histoire légendaire une dimension véritablement littéraire. Surtout, il y ajoute un élément important : la quête du Graal –sans préciser toutefois son sens symbolique car il ne terminera pas son dernier roman. Robert de Boron, dont l’œuvre n’a pas l’ampleur de celle de Chrétien de Troyes, fait du Graal une coupe ayant servi à recueillir le sang du Christ. Ensuite, un immense cycle du Graal (1220-1230) compile en cinq romans touffus toutes les légendes arthuriennes, dans une perspective chrétienne : L’Histoire du Saint Graal, Merlin, Lancelot, La Quête du Saint Graal et La Mort du roi Arthur.

L’Anglo-normand, qu’est-ce que c’est ?

Certaines des œuvres essentielles de la « matière de Bretagne » sont écrite en anglo-normand : la légende de Tristan et Iseult par Béroul, le Roman de Brut par Wace.

L’anglo-normand est tout simplement le français exporté en Grande-Bretagne, après la conquête de Guillaume de Normandie. On l’appelle aussi français insulaire, dénomination peut-être plus intuitive. Jusqu’au XIVe siècle, la plupart des œuvres littéraires produites en Grande-Bretagne sont rédigées dans cette langue. Le moyen anglais est le résultat de l’infusion de ce français insulaire dans la langue vernaculaire. C’est ce qui explique le grand nombre de mots d’origine française dans le vocabulaire anglais actuel.

Précisons qu’au Moyen Âge, on parle plusieurs langues en France (toutes dérivent du latin). Au nord de la Loire, la langue d’oïl regroupe le francien, le picard, l’anglo-normand. Au sud, on parle la langue d’oc, mère de l’occitan actuel.

Chrétien de Troyes : la quête du chevalier errant

Dans cette forêt de récits divers, l’œuvre de Chrétien de Troyes tient une place à part. A la différence de ses devanciers, cet auteur ne tient aucun compte d’un prétendu référentiel historique. Les aventures de ses héros ne se réduisent pas non plus à un sens allégorique, ou bien à une compilation décousue. Avec son ton et son style bien à lui, Chrétien de Troyes raconte la vie d’un personnage à travers ses moments cruciaux, où tout se joue parfois à son insu. On considère généralement ces récits comme la naissance du roman en occident.

D’autre part, Chrétien de Troyes invente la figure du chevalier errant. Contrairement à ses collègues des chansons de geste, le chevalier errant est solitaire. Il se promène un peu au hasard, en espérant que la providence veuille bien lui fournir de quoi prouver sa valeur. Bien entendu, le code d’honneur de la chevalerie et la fin’amor baignent les romans de Chrétien de Troyes. Au hasard de ses pérégrinations, le chevalier défend les femmes contre les méchants, et se soumet à leur volonté même quand il s’agit de monter dans une infâme charrette.

Cette atmosphère courtoise se double parfois d’un regard ironique ou amusé sur le devenir des héros une fois en couple. Après avoir conquis sa belle par de beaux combats, Perceval ne peut pas s’empêcher de combattre à nouveau malgré les objurgations de sa maîtresse. Au contraire, Erec devient un peu trop pantouflard au goût de sa dame qui lui demande de remonter à cheval (Erec et Enide). L’amour courtois supporte mal le quotidien !

Tristan et Iseult : l'amour tragique

Dans la seconde moitié du XIIe siècle, un certain Béroul met sur papier une légende aux origines probablement celtiques : la vie de Tristan et d’Iseult. Résumons l’histoire : sur le chemin qui le conduit à la princesse Iseult dont il doit demander la main pour le compte de son roi Marc, Tristan boit par accident un philtre qui le rend passionnément amoureux de la princesse. Bien entendu, cet amour fâche. Les amants sont séparés. Tristan est molesté et gravement blessé. Seule Iseult peut le guérir. Se croyant abandonné, il meurt en prononçant son nom, au moment où elle arrive dans ses bras. Cette histoire liant si étroitement l’absurde, l’amour et la mort allait bien sûr ravir les romantiques au XIXe siècle.

Au Moyen Âge, la légende de Tristan baigne tout l’imaginaire occidental. Le véritable amour n’est-il pas fatalement destiné à l’inaccomplissement ? D’autre part, est-il l’expression d’une liberté ou bien d’un assujettissement comme le suggère ce philtre ?

Dans l’univers musical, Wagner a su par un coup de génie rendre sensible le tragique d’un amour qui ne peut trouver son aboutissement dans la vie : c’est le célèbre « accord de Tristan », motif récurrent de l’opéra Tristan und Isolde (1865).

Satire et contestation

Au Moyen Âge, la littérature courtoise est accompagnée d’un courant beaucoup plus critique, espiègle, qui en est comme l’image inversée. Dans cette catégorie, on peut citer notamment les branches du Roman de Renart, les fabliaux et le Roman de la Rose.

Le Roman de Renart : dupes et fripons

L’humanité est-elle divisée en fidèles et en mécréants ? En bons et en méchants ? En dominés et en dominants ? Pour les auteurs du Roman de Renart, elle est plutôt composée de dupes et de fripons, les rôles pouvant changer selon les situations. Ainsi, Renart est un malin qui joue sur la crédulité de ses adversaires, mais il ne gagne pas à tous les coups. Est-il bon, est-il méchant ? Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, ses ennemis ne valent pas mieux que lui. Cette œuvre est une satire générale des travers de l’homme, de sa bassesse, mais peut-être aussi un hommage à sa résilience.

Bourgeonnant de la fin du XIIe jusqu’au XIIIe siècle, les branches du Roman de Renart sont le fait d’auteurs distincts et le plus souvent inconnus. Les œuvres plus tardives qui se rapportent à cette figure, comme Renart le Bestourné de Ruteboeuf, ou Renart le contrefait, évoluent vers une satire plus directement politique et concentrent en Renart tous les vices.

Prisons sociales

« Pour vous montrer le merveilleux pouvoir de Nature, je puis vous donner maints exemples. L’oisillon du bois ramé, quand il est pris et mis en cage, bien soigné et nourri délicatement, chante dans sa prison, tant qu’il vit, de coeur gai, vous semble-t-il ; pourtant il désire le vert bocage où il est né, et il voudrait être sur les arbres qu’il aime : on ne saura jamais si bien le paître qu’il ne pense et ne s’étudie à recouvrer la liberté : il foule aux pieds sa pâture dans l’ardeur qui le dévore, et va parcourant sa cage, cherchant en grande angoisse s’il ne s’y trouvera pas fenêtre ou pertuis par où il puisse s’envoler.

Ainsi toutes les femmes, dames ou demoiselles, de quelque condition que ce soit, sont portées naturellement à chercher par quels chemins elles pourraient se rendre libres. Il en est de même de l’homme qui entre en religion : il arrive après qu’il s’en repent, au point que peu s’en faut qu’il ne se pende de désespoir : il se plaint et se désole, tourmenté du désir de recouvrer la liberté qu’il a perdue… »

Le Roman de la Rose

Le Roman de la Rose : amour et perversion

Au XIIIe siècle, la vie devient plus urbaine et les cathédrales achèvent leur construction. Mais les croisades s’enlisent, l’occident s’aperçoit qu’il n’est pas seul (Marco Polo) et que la conversion universelle n’est pas pour demain. En théologie, les savants se donnent du mal pour intégrer la philosophie d’Aristote au dogme chrétien. Enfin, malgré les progrès techniques, le monde agricole ne parvient plus à nourrir la population croissante. Il y a comme un doute dans le royaume de France.

Synthèse et chef d’œuvre du Moyen Âge, le Roman de la Rose est à la fois un poème de l’amour courtois et l’expression corrosive de ces doutes.

Qu’est-ce que l’amour ? Comment aimer ? Voici les questions auquel ce livre tâche de répondre. La première partie (écrite par Guillaume de Lorris vers 1230) est un parcours initiatique conforme à l’idéal courtois, qui passe par le coup de foudre, les épreuves, la soumission, la patience, le souci d’élégance. La seconde partie (écrite par Jean de Meung vers 1270) est plus inattendue. L’auteur prend à contrepied la fin’amor et plus généralement s’attaque à toutes les institutions consacrées. Tout le monde en prend pour son grade : l’église, les clercs, les nobles, les pauvres, les hommes et les femmes. Que devient l’amour dans ce dénigrement général ? Une escroquerie. Une pulsion sexuelle qui ne dit pas son nom. La mort nous presse à jouir et à nous reproduire : tout le reste est ruse et littérature. Étonnant Moyen Âge !

La querelle du Roman de la Rose

Christine de Pizan dénonce publiquement un roman qu'elle juge outrageux pour les femmes.

C'est la première polémique de l'histoire de la littérature !

Les écrivains majeurs du Moyen-âge