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La Renaissance

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Faire et croire différemment

On borne généralement la Renaissance, en France, de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492) à la mort d’Henri IV (1610). Qu’est-ce qui change lors de cette période ? La société du Moyen-Âge reposait sur un ensemble de croyances et d’usages très déterminés. Or, à la fin du XVᵉ siècle, un peu partout en Europe, des hommes cherchent à faire différemment, croire autrement, reconstituer les sources des textes sacrés par exemple.

Dans nos sociétés fondées sur l’innovation, la recherche de la différence est valorisée. Mais à cette époque, rompre avec la coutume, c’est souvent s’exclure de la communauté. Et voilà qui nous amène au drame de la Renaissance : les guerres de religion. Faire différemment, ou croire différemment, c’est défier l’ordre établi. Les critiques de Martin Luther donnent lieu à un nouveau courant religieux et à des conflits avec les autorités catholiques qui dureront jusqu’au XVIIIᵉ siècle.

Le monde s'étend

Beaucoup plus audacieux que leurs prédécesseurs, les hommes et les femmes de la Renaissance cherchent à élargir leurs horizons géographiques et culturels. La découverte d’un nouveau monde habité a secoué les cervelles. C’est donc aussi une époque où la culture se trouve de nouvelles références, et notamment dans l’antiquité. Les auteurs grecs et latins sont redécouverts, traduits ou retraduits, discutés, commentés. Dans cette époque violente, il souffle un grand vent de liberté, et d’humanisme.

Catholique ou protestante, la Renaissance est chrétienne, de bout en bout. Mais elle l’est d’une manière beaucoup plus créative, en somme, que précédemment.

Les structures sociales et religieuses se transforment, comme la manière d’apprendre et de connaître. En Italie, Galilée pose les bases de la physique moderne. La théologie n’est plus tout à fait la reine des sciences, Aristote n’est plus l’autorité définitive sur toute question philosophique. En bref, on ne se contente plus de la Bible et du philosophe grec pour interpréter le monde.

Il y a donc pendant cette période une soif d’apprendre et une ivresse du savoir, très visible chez Rabelais par exemple. Mais connaître, c’est aussi se connaître. Et dans un monde aussi bouleversé, comment appréhender la place de l’homme dans le monde, comment vivre ? C’est la question que se pose Montaigne. Dans ce monde moderne qui commence, l’existence n’a pas de mode d’emploi…

La langue française à la Renaissance

Le XVI° siècle est décisif pour la constitution de la langue française. Deux faits majeurs :

  • D’abord, le français devient la langue officielle des actes juridiques (ordonnance de Villers-Coterêts). La langue s’impose aussi peu à peu dans la rédaction d’ouvrages techniques.

  • D’autre part, le vocabulaire s’enrichit considérablement par le travail des écrivains et des érudits qui vont composer pour le français de nombreux mots à partir d’une origine grecque ou latine (voir encadré).

Autrement dit, le latin classique jouit d’un grand prestige mais simultanément le français s’impose de plus en plus, comme en témoigne la Deffence, et illustration de la langue francoise, de Joachim du Bellay en 1549. Défendre et illustrer la langue française, oui, mais laquelle ?

C’est ce qui déstabilise parfois le lecteur de notre temps devant les textes de la Renaissance : chaque auteur paraît avoir non seulement son style à lui, mais aussi sa langue propre, en l’assumant (comme Maurice Scève) ou en faisant mine de s’en excuser (Montaigne et ses gasconismes). En fait, les écrivains cherchent à définir une nouvelle norme non par des concessions, mais en outrant leur position, leur manière d’écrire.

Souvent les auteurs de la Renaissance s’emploient à créer des mots à partir d’une origine grecque ou latine pour les substituer à des formes jugées abâtardies ou fautives, dérivées de l’évolution du bas-latin parlé. Mais parfois le mot remplacé résiste et par conséquent nous avons aujourd’hui des doublons : on crée par exemple déambuler (lat. ambulare) pour remplacer se promener, qui résiste, libérer (lat. liberare) pour remplacer délivrer, qui résiste, ausculter (lat. auscultare) pour remplacer écouter, qui fera mieux que résister !

L'Humanisme

Les lettres en ébullition

A la fin du XVe siècle et pendant tout le XVIe siècle, de nombreux érudits et écrivains se mettent à travailler dans une nouvelle direction. Pic de la Mirandole, Érasme, Guillaume Budé, Rabelais, Marguerite de Navarre, Montaigne et La Boétie (entre autres) ont en commun des admirations, des rêves et parfois des projets. Bien plus tard, au XIXe siècle, on les appellera les humanistes.

Cette fièvre intellectuelle transforme profondément la langue, la littérature et les thèmes de réflexion. Comme les peintres et les sculpteurs de la même époque, les intellectuels sentent qu’ils participent à une mutation majeure dans l’histoire. C’est le monde moderne qui commence.

L’imprimerie

A Mayence, Gutenberg met au point un procédé d’impression à partir de caractères mobiles. Le premier livre est mis sous presse en 1451. Très vite, des imprimeries essaiment dans toute l’Europe avec souvent un grand succès commercial. Entre 1450 et 1500, plus de 20 millions de livres sont imprimés en Europe !

L’humanisme, un mouvement européen

Le premier héros de l’humanisme est Pétrarque (1304-1374). Né en Toscane, il fit ses études à Carpentras, à Montpellier puis à Bologne. Il vécut longtemps à Avignon puis dans un village du Vaucluse, voyagea jusqu’en Flandre et en Rhénanie, séjourna à Naples et à Rome.

Cette vie très itinérante fut aussi celle du Néerlandais Érasme (1466-1536) dont la correspondance compte plus de 3000 lettres adressées à des destinataires de toute l’Europe. Ami d’Érasme, l’extraordinaire Thomas More (1478-1535) fit rayonner l’humanisme en Angleterre, tandis que François Rabelais (1483?-1553) multiplia les voyages en France et en Italie pour s’instruire et se protéger des poursuites.

Retour aux sources

Contrairement à un préjugé répandu, le Moyen-âge pensait. Mais la philosophie ne sortait guère de l’Université. Copiés à la main, les livres coûtaient cher et circulaient difficilement. Les polémiques intellectuelles restaient très encadrées et confinées. La grande affaire était de réussir à concilier Aristote et le dogme chrétien.

Mais au XIVe siècle, Pétrarque montre et suscite autour de lui un enthousiasme nouveau pour l’Antiquité, au-delà de la figure d’Aristote. Cette appétence continue à croître et à partir de 1450, le développement de l’imprimerie vient mettre les textes dans toutes les mains. On commence à discuter, à s’interroger sur les traductions existantes et sur les transformations successives des textes des philosophes grecs ou des auteurs latins. L’état des connaissances sur l’Antiquité grecque, en particulier, paraît très lacunaire et fondé sur des traductions contestables. Guillaume Budé convainc François Ier de créer des chaires pour le grec, le latin et l’hébreu. Érasme ose retraduire le nouveau testament. Partant à la chasse aux manuscrits dans toute l’Europe, les érudits traduisent et font publier des œuvres majeures de l’Antiquité. On redécouvre peu à peu l’immense paysage culturel de l’Antiquité grecque et latine.

De l'admiration à la création

Ce retour aux sources greco-latines (qu’on peut observer aussi dans la sculpture) s’accompagne d’un geste créatif. Les intellectuels de la Renaissance ne veulent pas se contenter d’être des compilateurs, des traducteurs ou des commentateurs. Tout en admirant l’Antiquité, ils se sentent capables de faire quelque chose à leur tour, avec leurs propres aspirations et dans leur langue.

L’écriture des Essais de Montaigne témoigne bien de cette ambition. Alors que les premiers chapitres noient le propos dans un flot d’anecdotes tirés de Plutarque ou de Tite-Live, l’écrivain prend peu à peu confiance et affirme davantage sa personnalité, ses idées et son style à mesure que son livre avance. De même, l’immense érudition de Rabelais ne l’empêche pas de créer une langue profondément originale. Sur un volet plus théorique, la Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay encourage les écrivains à écrire en français, langue en friche mais qui selon lui a un formidable potentiel littéraire !

Nouveaux horizons littéraires

« Tu sauras dextrement choisir et approprier à ton œuvre les vocables les plus significatifs des dialectes de notre France, quand ceux de ta nation ne seront assez propres ni signifiants, et ne se faut soucier s’ils sont Gascons, Poitevins, Normands, Manceaux, Lyonnais, ou d’autres pays, pourvu qu’ils soient bons, et que proprement ils expriment ce que tu veux dire… »

 

Ronsard, L’art poétique, 1565

Le rêve d'une langue totale

Alors qu’ils auraient pu s’épuiser dans une imitation stérile de la littérature antique, les humanistes et leurs émules enrichissent et font vivre leur langue. Ils ne cherchent pas non plus à la calquer sur le goût de la cour. Montaigne n’hésite pas à utiliser des expressions gasconnes. Ronsard recommande aux poètes de fréquenter les artisans pour tirer de leur pratique des mots et des métaphores nouvelles.

Mais c’est peut-être chez Rabelais que ce rêve d’une langue embrassant tous les registres prend sa forme la plus aboutie, dans des pages qui vont du scatologique à la rhétorique classique, en passant parfois par des récits d’allure franchement surréaliste ou fantastique !

Nouveaux genres

Les genres littéraires médiévaux sont abandonnés ou profondément renouvelés par les auteurs de la Renaissance. Inspiré de Boccace, l’Heptaméron de Marguerite de Navarre n’a plus grand chose à voir avec les fabliaux et les contes du Moyen-âge mais ressemble davantage à ce qu’on appellera plus tard la nouvelle. Avec Pantagruel (1532) et Gargantua (1534), François Rabelais signe sans le savoir la naissance du roman moderne. Les Essais de Montaigne (1580), méditations libres où il est question de l’art de manger avec ses doigts comme des fondements de la connaissance, donnent lieu à un nouveau genre littéraire (l’essai) qui acquiert une grande fortune en Angleterre notamment (Francis Bacon, Essays, 1597).

Chanson à 4 voix sur un poème de Ronsard, « Mignonne, allons voir si la rose… ». Composée par Guillaume Costeley, en 1570.

« Ce grand monde, (…) c’est le miroir où il nous faut regarder pour nous connaître sous le bon biais : somme toute, je veux que ce soit là le livre de notre écolier. Tant d’humeurs, de sectes, de jugements, d’opinions, de lois et de coutumes, nous apprennent à juger sainement des nôtres, et apprennent notre jugement à reconnaître son imperfection et sa naturelle faiblesse, ce qui n’est pas un léger apprentissage. »

 

Montaigne, Essais, L. 1, ch. 25. Adaptation en français moderne.

L'éducation en chantier

Dans un ouvrage écrit à l’âge de 23 ans et que l’on présente souvent comme le manifeste de l’humanisme, Pic de la Mirandole fait tenir à Dieu un discours où nous pouvons encore nous reconnaître :

« Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ni immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme. » (De la Dignité de l’homme, 1496)

Voilà un programme qui allait occuper les siècles à venir. Dans ce contexte, l’éducation revêt une importance majeure. Pour les humanistes, l’enjeu de l’apprentissage est bien autre chose que de faire passer un contenu d’une cervelle à une autre : il s’agit de donner les moyens à chaque enfant de s’accomplir librement en tant qu’homme. Au XVIe siècle, Rabelais et Montaigne s’emparent du sujet avec passion, en préconisant l’épanouissement du corps, mais en insistant aussi sur l’intérêt de l’expérimentation, du voyage et de tout ce qui se passe en dehors de la classe. L’apprentissage devient une manière d’être au monde !

Les débuts de la pensée critique

L’humanisme est initialement un appétit de lecture, de découvertes et de traductions. Les érudits ne sont pas des contestataires, ils veulent simplement qu’on les laisse mener leurs recherches, qu’on leur permette par exemple d’élaborer des traductions plus précises des textes sacrés. Le pouvoir ecclésiastique réagit brutalement. Il se sent menacé. S’il autorise chacun à avoir son opinion, que deviendra son autorité ? Peine perdue : le ver est dans le fruit. L’examen et la critique n’épargneront bientôt plus aucun domaine.

En plus de chercher la petite bête, les humanistes ont un autre défaut : ils ne peuvent pas s’empêcher de rêver. La découverte d’un nouveau continent ne pousse pas Montaigne à mettre en place des projets commerciaux lucratifs, elle l’amène à s’interroger sur les notions de barbarie et d’altérité. Pourquoi considérer les coutumes différentes des nôtres comme barbares ? Au contraire, la vie modérée des indigènes du Brésil ne met-elle pas en relief notre propre démesure ?

En Angleterre, Thomas More va encore plus loin en inventant l’utopie, une société imaginaire dont le fonctionnement et les mœurs questionnent le bien fondé de nos usages (Utopia, 1516). La pensée critique avait de beaux jours devant elle !