Littérature française

Apprendre à vivre

La vie de Michel de Montaigne

Michel de Montaigne est né à le 28 février 1533 au château de Saint-Michel de Montaigne, en Dordogne. Très attentif à son éducation, son père le fait réveiller par des musiciens et lui fait apprendre le latin avant le français (tout le monde, même les domestiques, avait ordre de ne s’adresser à lui qu’en latin.) Il fait des études au collège de Bordeaux, on perd un moment sa trace, puis à vingt-deux ans le voilà occupant des fonctions de magistrat au parlement de Bordeaux. Cette charge s’accompagne de missions politiques à la Cour, à Paris : Montaigne devient un diplomate recherché en des temps explosifs. A Bordeaux, il fait la rencontre de sa vie, Étienne de la Boétie, qui meurt quatre ans plus tard, laissant Michel inconsolable. Il multiplie les aventures amoureuses, se laisse marier, mais rien à faire, il ne lui “semble plus qu’exister à demi”.

Il se retire dans ses terres à 37 ans. Il commence la rédaction des Essais à 39 ans, et la poursuit jusqu’à sa mort vingt ans plus tard. Mais sa vie publique ne cesse pas pendant cette période : élu maire de Bordeaux en 1581, il effectue par ailleurs de nombreuses missions diplomatiques délicates, entre parti catholique et protestant notamment. Il meurt à 59 ans dans son château.

Trône

"Sur le plus haut trône du monde, nous ne sommes pourtant assis que sur notre cul."

 

Essais, III, 13 "De l'expérience"

Montaigne et son époque

Il ne faut surtout pas imaginer Montaigne reclus dans sa bibliothèque : c’est un peu un genre qu’il se donne. C’est un être de plein vent : il peut passer quinze heures de suite à cheval, fait la guerre quand il faut, l’amour quand il peut, au milieu d’une époque extrêmement violente. C’est la guerre civile en France, et le voisin avec qui on prend un verre peut le lendemain vous assassiner sans préavis.

Montaigne aquiert une réputation de fin diplomate : il est requis par le roi, par Henri de Navarre, par les partis en présence, pour des mission de conciliation ou de négociation. Il prend part à des sièges, éprouve la violence de son temps. A tel point que redoutant pour sa vie, et aussi par amour des voyages, il fait un grand tour de près de deux ans en Europe et surtout en Italie. Sur la route du retour, il apprend qu’il a été élu maire de Bordeaux. Il a 48 ans. Il est réélu deux ans plus tard, mandat difficile, qui se termine par une épidémie faisant 14 000 victimes  dans la ville. Il fuit la peste avec sa famille, erre dans la région pendant six mois, peine à trouver des gens prêts à l’héberger. A son retour, il trouve son domaine dévasté par la guerre et la maladie.

Lisant Montaigne, il ne faut pas s’arrêter aux portraits de lui un peu froids peints à l’époque ou après-coup : la reine Margot ensanglantée ci-contre, donne une idée certainement plus juste de la tonalité du temps.

Tourisme

« Quand j’ai été ailleurs qu’en France et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses [remplies] d’étrangers. J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent les étrangères. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Eh ! Pourquoi non barbares, puis qu’elles ne sont françaises ? »

 

Essais, III, ch. 9 "De la vanité"

Sa place dans l'histoire de la littérature

Montaigne est une sorte de nourriture pour les écrivains qui sont venus après lui : les Essais, ça se déguste, ça se mange, et ça se digère.

Elle est à peu près unique : il est le créateur d’un genre littéraire (l’essai), et du premier coup atteint le sommet du genre. Voilà qui est exceptionnel !

Sa place en France est singulière. Il parle une langue de la Renaissance, mâtinée de gascon. Cette langue est vivante, métaphorique, riche, fortement imagée. Or, le français se développera par la suite dans une direction opposée : au XVIIe siècle elle sera élaguée, épurée, taillée. Donc d’une certaine manière la langue de Montaigne est une impasse dans l’histoire. Pour parler du français, on parle de “la langue de Molière”, pas de la langue de Montaigne.

Pourtant, l’influence de Montaigne a été gigantesque : tous les auteurs un peu philosophes ont dû se situer par rapport à lui, se positionner. Pendant des siècles, les Essais ont été le livre de chevet d’à peu près tous les écrivains.

Le maître d'une science nouvelle

"En vérité, du fait qu’un tel homme a écrit, le plaisir de vivre sur terre en a été augmenté. (...) C’est à côté de lui que je me rangerais si le devoir m’imposait de se choisir une patrie sur la terre. "

 

Friedrich Nietzsche

 

"Je vois en lui l’ancêtre, le protecteur et l’ami de chaque homme libre sur terre, le meilleur maître de cette science nouvelle et pourtant éternelle qui consiste à se préserver soi-même de tous et de tout."

 

Stefan Zweig

Pourquoi Montaigne est un écrivain extraordinaire

La langue de Montaigne a quatre cent cinquante ans, et elle est assez éloignée de la nôtre (voir la page “approfondir“). Mais la patience du lecteur est récompensée, une fois que la lecture devient à peu près fluide : quelle vie, quelle profondeur, quelle précision ! Montaigne est un écrivain familier, sans prétention, très concret, et très attentif au rendu de son texte. Tout est beau, et les formules sonnent parfaitement bien. Surtout, son écriture est pleine de suc, de vie, de “muscle”, disait Flaubert. Ainsi :

Il y a quelque ombre de friandise et délicatesse, qui nous rit et qui nous flatte, au giron même de la mélancolie. N’y a-t-il pas des caractères qui en font leur aliment ?

(Essais, II, ch. 20 « Nous ne goûtons rien de pur »)

Il est un philosophe, tout autant qu’un écrivain. Plus rare, il n’oublie jamais qu’il est un homme, et non un pur esprit. Il sait aussi qu’il est un homme parmi les hommes, et non un élu au milieu des sauvages (Des Cannibales).

Cette secrète lumière

« Nous n’apercevons les grâces que pointues, bouffies et enflées d’artifice. Celles qui coulent sous le naturel et la simplicité échappent aisément à un regard grossier comme est le nôtre : elles ont une beauté délicate et cachée ; il faut la vue nette et bien purgée pour découvrir cette secrète lumière. »

 

Essais, III, 12 "De la physionomie"

Œuvres principales - Extraits

Les Essais